Marc Alphandéry, Membre du Conseil d'orientation du Labo de l'Ess, et Gaell Mainguy, Directeur général adjoint du Learning Planet Institute

Marc Alphandéry, Membre du Conseil d'orientation du Labo de l'Ess, et Gaell Mainguy, Directeur général adjoint du Learning Planet Institute

Face aux enjeux de durabilité et de soutenabilité, quel rôle pour la coopération et l’intelligence collective ? Ou comment aider les acteurs à développer leur trajectoire au sein d’écosystèmes territoriaux. Comment réinventer les manières d’apprendre au sein même des organisations pour augmenter la capacité à s’adapter, à être créatif, résilient. On en parle avec Gaell Mainguy, Directeur général adjoint du Learning Planet Institute, et Marc Alphandéry, Membre du Conseil d’orientation du Labo de l’ESS.

Publié le 28 juin 2024

Pourquoi coopérer ?

Face aux enjeux de durabilité et de soutenabilité qui sont planétaires, on pourrait dire « c’est dantesque, c’est titanesque. Les enjeux sont beaucoup trop importants pour qu'on puisse y contribuer. Et c'est exactement l'inverse, explique Gaell Mainguy. En fait, on peut tous faire quelque chose et c'est d’ailleurs la seule manière d’y arriver. Il n’y a pas une seule personne qui va décider que tous, maintenant, on va se mettre sur la bonne trajectoire ». Ainsi le pilotage des activités, dans les organisations, repose sur le choix d’une orientation, d’une intention compatible avec les limites planétaires, et aussi sur une organisation plus efficace, faisant appel à l’intelligence collective, pour « freiner ce qui nous met dans le mur et accélérer ce qui nous met dans la bonne direction ».

« Nous pensons que la coopération doit être appréhendée comme une finalité et aussi comme un moyen, partage Marc Alphandéry pour le Labo de l’ess. Comme une finalité, pour créer une société de coopération qui rompt avec la logique de concurrence. Comme un moyen, pour mettre en place un autre mode de développement. L’échelon territorial, précise-t-il, est une bonne échelle pour expérimenter de nouveaux modèles puis les valider avant de les généraliser à plus large échelle ». Marc Alphandéry évoque ici les écosystèmes territoriaux qui font travailler ensemble les acteurs autour d’un projet d’intérêt général commun.

Un propos dans la continuité du concept popularisé par Elinor Oström, première femme à obtenir un « prix Nobel » d’économie en 2009 pour ses développements sur la théorie des communs. Les communs : toute « ressource partagée par un groupe de gens », car il n’y pas de communs sans communautés pour les gérer. La notion de Communs est attachée à une forme de gouvernance polycentrique. Le Commun peut concerné des ressources naturelles, associées à des espaces de coordination en charge de leur gestion et utilisation, pour éviter de les épuiser ou de les privatiser.

Car « ce n’est pas le tout d’être soutenable, confirme Gaell Maingy. Si vous êtes soutenables parce qu’il y a 1% [des acteurs] qui a tout et 99% qui a rien, vous ne serez pas soutenables. La rancœur que ça va générer va créer une autre forme de pillage des ressources, des conflits et tout un tas de choses qui font que ça n’est pas soutenable. On a besoin que ce soit juste ».

Et Marc Alphandéry de poursuivre : « Faire société autrement, ça veut dire produire et consommer différemment ». ça veut dire « aller vers une transition écologique juste, juguler la destruction du vivant, de la biodiversité, des espèces animales, et faire en sorte que « les populations les plus défavorisées puissent intégrer ce nouveau modèle ».

Comment coopérer ?

On a besoin de l’intelligence collective pour fabriquer et faire respecter des règles de gestion soutenable et durable. C’est la posture des organisations apprenantes : « ces organisations qui font confiance à leurs collègues et au-delà, aux personnes à l’extérieur de leur organisation. Qui vont puiser dans l’énergie de ces personnes, dans leur capacité à faire et à réfléchir, les moyens de développer un capital immatériel. C’est-à-dire une capacité à agir, à se transformer et à être créatif. Et c’est aujourd’hui l’enjeu. Aller chercher cette intelligence collective pour transformer les organisations, pour qu’elles puissent mieux contribuer à leurs missions, être mieux au service des gens qu’elles servent, leurs salariés, leurs clients. Aller vers des organisations plus efficaces car elles vont être "plus humaines" et moins mécaniques ».

« On a chacun une vision parcellaire du monde. Notre premier réflexe, à tous, quand on rencontre quelqu’un qui a une position radicalement différente, c’est de ne pas l’écouter, de le rejeter. L’ennui, c’est qu’alors, souvent, on passe à côté de qui est intéressant ». La « lecture socio-émotionnelle » de l’autre, du groupe, des situations est essentielle pour faire vivre l’intelligence collective. Et ça s’apprend. Il s’agit d’apprendre à « mieux comprendre ses propres besoins, ceux des autres, comment fonctionne le groupe. Apprendre à accueillir des visions différentes, avec l’envie de coconstruire, pour susciter des dynamiques collectives intéressantes » au-delà d’affrontements de position, sources d’immobilisme.

« La coopération, ça s’apprend en s’expérimentant », confirme Marc Alphandéry. Il relie ces processus d’intelligence collective à l’importance des transferts de savoir-faire. Il les a lui-même expérimentés dans la création de supermarchés coopératifs et participatifs alimentaires, inspirés de l’expérience à New-York de la Park Slope Food Coop (PSFC), et implantés par exemple, à Paris avec La Louve, et à Marseille avec Supercafoutch. « On a créé ce supermarché [Super Cafoutch, à Marseille], en se faisant aidés par ceux qui nous ont précédés. La Louve, supermarché coopératif créé à Paris, est venue nous aider ». « Ils nous ont passé leur modèle juridique, leur business plan, les outils informatiques qu’ils avaient utilisés. La solidarité dans un réseau, c’est cette capacité à transférer les modèles qu’on a expérimentés pour mettre en place de nouvelles initiatives ».

Marc Alphandéry partage également avec nous, son point de vue sur les atouts d’une gouvernance partagée pour structurer des projets coopératifs. « Ce sont les consommateurs qui deviennent collectivement propriétaires de leur supermarché et qui donnent de leur temps chaque semaine, pour mener à bien les taches basiques de sa gestion (caisse, mise en stock, etc.). Ça permet de réduire la masse salariales, et les marges sur les produits sont limitées. La gouvernance est partagée : les coopérateurs dirigent collectivement le supermarché, avec des règles de décision, avec un système de décentralisation des compétences ».

Aujourd’hui des statuts juridiques existent pour faciliter ces formes de gouvernance partagée, telles que les SIC - sociétés coopératives d’intérêt collectif - ou les SCOP - sociétés coopératives de production. « Le statut ne fait pas tout, conclut Marc Alphandéry, mais permet de garantir que les richesses soient réinvesties dans l’activité économique ». Il insiste aussi sur l’importance de l’accompagnement, avec des métiers dédiés à l'animation de la coopération, et sur le nécessaire financement, notamment via les outils de la finance solidaire.  

« On est tous en voie de développement soutenable », explique Gaell Mainguy pour évoquer la nécessité aujourd’hui de faire évoluer notre méthode, notre regard « en tant qu’espèce », « collectivement », pour répondre aux besoins des hommes et des femmes tout en agissant au sein d’un espace défini, respectueux des limites planétaires désormais mieux connues.

Pour aller plus loin, écoutez : Pourquoi opérer autrement ? pourquoi coopérer ?
Un épisode de DELPHIS, le podcast, publié en mai 2024

Ressources complémentaires :

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