Julien Paul, Directeur général, Habitat Réuni ; Président de la commission Nouveaux services, Fédération des esh
Alors que des changements mettent durablement à l’épreuve la cohésion sociale et la capacité de résilience des plus précaires notamment, le rôle social des organismes est une priorité, témoigne Julien Paul, Directeur général de Habitat Réuni. C'est dans cette perspective qu'il a contribué à créer la commission Nouveaux services au sein de la Fédération des esh. Il apporte son éclairage sur l’enjeu de service pour les bailleurs sociaux.
Publié le 20 mai 2024
A travers ce qu’ils sous-tendent en matière d’accompagnement social, les nouveaux services s'inscrivent dans un métier historique des organismes de logement social (OLS). Leur développement soutient aussi l’esprit d’initiative des équipes et la capacité d’agir des habitants, et fait évoluer le modèle des organismes.
Pourquoi avez-vous initié ces travaux sur les Nouveaux services ?
Julien Paul : Notre spectre d’enjeux est plus large que les thématiques sur lesquelles nous sommes déjà engagées (contrôle de gestion, finance, maîtrise d’ouvrage, RSE). Il me semble que notre communauté a besoin de travailler l’enjeu des services et de l’éclairer, car il témoigne de notre manière d’appréhender notre rôle. En tant que bailleur social, nous avons trois métiers : construire, gérer, accompagner. L’enjeu des services est associé à ce troisième pilier.
Cette dimension, l’accompagnement des personnes, dit la manière dont on choisit d’être au monde, de vivre et d’exercer notre activité. Le dit-on assez ? C’est pourtant d’une cruelle modernité. De plus en plus de Français se sentent mal accompagnés par la société. Or notre mission, notre engagement social, nous distingue d’autres acteurs de l’habitat. Il importe de loger les personnes et tout autant de se préoccuper d’elles une fois entrées dans les lieux, avec les atouts de notre ancrage local qui facilite la connexion des habitants à leur environnement et ses aménités.
Comment « on se préoccupe des gens » ?
Julien Paul : La priorité d’un bailleur social est de prendre en compte la personne qu’il loge avec ses besoins, ses fragilités. Cette attention peut avoir un effet vertueux sur le vivre-ensemble, voire mieux sur la cohésion sociale. Car dans notre action, nous aidons la personne à se relier à un tissu de relations, à des dispositifs de solidarité. Il ne s’agit pas de l’assister mais de la soutenir pour trouver les appuis de proximité dont elle a besoin. Nous favorisons l’inclusion et l’autonomie de chacun pour mieux "faire société".
En quoi cet enjeu résonne-t-il particulièrement aujourd’hui ?
Julien Paul : Avec le dérèglement climatique, il est beaucoup question, à raison, de la résilience du bâti, de sa capacité à faire face et à s’en sortir renforcé. Nous oublions trop souvent un élément majeur : l’humain dans le bâti. Il a également besoin d’être accompagné pour s’adapter à son écosystème changeant et aux aléas sévères. Nos modes de vie vont être bouleversés, et c’est insuffisamment dit et assumé, intrégré à nos stratégies. Quand bien même des plans d’adaptation sont mis en œuvre à l’échelle nationale, il est incontournable d’accompagner nos locataires dans la proximité, à s’adapter à des changements structurels. Les OLS sont parfaitement légitimes et en capacité d’y contribuer.
Intervention de Lab S&the City, Commission Nouveaux services, Fédération des esh - DELPHIS, fin 2023.
Est-ce spécifique à l’habitat social ?
Julien Paul : L’habitat social est globalement mieux géré que l’habitat privé, le patrimoine mieux entretenu. Ce qui distingue notre approche en tant que bailleur social, tient à la vulnérabilité plus grande des personnes que nous accueillons. Elles sont pour une grande part, plus précaires et de plus en plus si l’on ne regarde déjà que les nouveaux entrants. Les réseaux d’intégration sociale, les lieux de vie associatifs, culturels qui jouent un rôle d’amortisseurs sociaux, sont de plus en plus fragilisés, parfois absents. L’idée, c’est d’imaginer des services qui permettent de retrouver, partout, des solidarités de proximité. L’entraide joue un rôle majeur dans les périodes de tension. Or nous allons au-devant de chocs cohésifs majeurs. Les pouvoirs publics ont et auront de plus en plus besoin d’acteurs de la cohésion sociale, opérationnels dans les territoires. Le développement de services est un levier fort pour y participer, à notre mesure, en plus de notre activité de MO et de gestionnaire bien sur.
Accompagnement social des personnes, gestion de situations atypiques, prévention et gestion des impayés… mais aussi aide à la personne (si elle est isolée, si elle avance en âge ou si elle est en situation de handicap par exemple), participation à la vie de quartier avec les associations, accueil de manifestations culturelles… Ces actions, qui relèvent d’initiatives habituelles mais éparses pour les bailleurs sociaux, doivent être réinterrogées, structurées, amplifiées.
Travaux en sous-groupe avec les bailleurs.
Ce qui était une mineure, car l’essentiel des investissements concerne historiquement la construction et la réhabilitation, est bousculé. Pour préparer demain, il faut investir aussi et davantage dans la réhabilitation environnementale et l’accompagnement sociale pour lutter contre les précarités. Des prestations de marché sont même possibles, participant du pouvoir d’achat. Des Multi-Risques Habitation sont d’ores et déjà proposées par certains bailleurs. Demain qui sait si les bailleurs ne seront pas aussi fournisseurs d’énergie…
Quel impact sur le modèle d’activité des organismes ?
Julien Paul : L’activité de bailleur social s’inscrit dans le modèle de l’économie sociale et solidaire. C’est insuffisamment dit et assumé. L’efficacité économique de notre activité est une nécessité et se met au service de valeurs humanistes. Dans un contexte de crises et de mutations profondes, son volet serviciel en particulier contribue à témoigner de la capacité singulière de nos organisations à créer de la valeur d’utilité sociale. Demain, il pourrait concerner nos locataires et plus largement, les habitants, les acteurs locaux, avec une attention notamment portée sur la péréquation des tarifs, selon les ressources des bénéficiaires.
Intervention de Lab S&the City
L’activité de service est aussi une manière de pouvoir demain, soutenir la légitimité de notre modèle SIEG (Service d’Intérêt Économique Général). Et c’est là que rendre compte de notre impact sur la base d’indicateurs ESG est incontournable pour être totalement opposable sur le caractère vertueux de notre activité appuyé sur une référentiel opposable. Il le sera aussi dans un avenir proche très probablement pour justifier aussi de prêts financiers indispensables aux investissements d’utilité sociale que nous sommes amenés à développer. Rendre compte de notre performance globale va dans le sens de l’obligation réglementaire liée au Reporting de durabilité, et qui concerne de plus en plus d'organismes.
Qu’en est-il sur le plan juridique ?
Julien Paul : Les aspects juridiques méritent encore d’être clarifiés, cela fait partie des travaux de la commission. Timidement abordée dans la loi Elan, la question des droits à faire des bailleurs sociaux a besoin d’être expérimentée, négociée, confortée avec l’Etat et les territoires pour développer ensemble un modèle.
En 2023, nous avons développé avec DELPHIS, une cartographie des services que les bailleurs ont déjà mis en place. Tel un observatoire, accessible publiquement en ligne, il vise à soutenir tous les bailleurs dans leurs initiatives, par eux-mêmes ou avec des partenaires. Une étude plus approfondie du cadre juridique permettra de sécuriser leur montée en puissance, vis-à-vis des acteurs privés notamment.
L’ensemble des expérimentations portées par les bailleurs est une opportunité de répondre aux besoins locaux non couverts, et de définir collectivement des règles d’exercice. Il ne faut pas rester coincé dans le cadre, mais plutôt prendre le lead pour le faire évoluer et renforcer le sens que nous donnons à nos actions.
On retrouve là l’esprit d’entrepreneuriat social…
Julien Paul : Nous nous inscrivons dans cette dynamique et devons montrer que nous sommes capables de nous réinventer, de réinventer le modèle de logement social à la française. Notre chiffre d’affaires fait à l’avance est notre « meilleur ennemi » quand il nous coince dans une culture administrative plutôt qu’entrepreneuriale. L’objectif de développer une offre de services vise tant à conforter notre modèle qu’à créer de la valeur sociale. Il me semble que nous aurions tout à gagner à lever les freins culturels à cette nouvelle dynamique, riche de sens. La congruence de cette ambition avec nos valeurs redonne de l’attractivité à nos métiers comme du pouvoir d’agir à nos locataires.
Dans cette période de transitions multiples aux échelles qui peuvent légitiment sidérer, nous avons la responsabilité d’agir, de tenter, dans un esprit de responsabilité sociale et sociétale, afin de participer à la construction de réponses démocratiques, républicaines et humanistes dans une période où la trompeuse tentation autoritaire va être grandissante.